lundi 3 septembre 2007

L'intérêt de la France... (après séparation flamande éventuelle)

Allô Paris ? ... Ici Bruxelles.
Lorsque je discute avec mes amis français du Quai d'Orsay (ministère des Affaires étrangères de la France, MAE), je ne manque pas de les "sonder" au sujet de notre situation belge. Mon poste de diplomate aux Affaires étrangères belges me permet d'entretenir quelques relations professionnelles dans l'Hexagone.

Selon ces partenaires français, la position officieuse de leur pays en ce qui concerne la Belgique est que la France ne laissera rien faire qui puisse constituer un recul francophone dans l'hypothèse d'une indépendance de la Flandre. Je détaillerai plus loin ce que cela signifie concrètement. Officiellement, bien sûr, la France ne "parle" pas d'indépendance flamande, ce n'est officiellement pas à l'ordre du jour. Mais c'est sur toutes les lèvres au Quai d'Orsay.

Quoi qu'il en soit, l'intérêt de la France dont il est question dans cet article ne vaut qu'en cas de situation exceptionnelle sur le plan constitutionnel que serait pour la Belgique l'indépendance flamande. Autrement dit, la France ne cautionne pas une sécession flamande a priori. Tant et aussi longtemps que les Flamands n'auront pas décidé de faire sécession, la position officielle de la France sera évidemment celle du soutien à une Belgique unie.

Dans nos discussions, je constate que mes amis français sont avides de détails sur la situation des Francophones de Belgique, notamment les minorités situées en Flandre : cette préoccupation revient souvent, à mon grand étonnement. En dehors des détails techniques (régime des facilités des communes périphériques, arrondissement "BHV", etc) qu'ils me demandent d'expliquer et de contextualiser, ils sont déjà relativement bien informés de la situation politique générale en Belgique.

Ils ne sont pas "tendres" à l'égard des excès flamands. Ils sont naturellement suspicieux vis-às-vis de la dimension "ethniciste" du nationalisme flamand. Jusque là, pas de surprise de la part de ressortissants du pays de Voltaire.

Pourtant, à ma grande surprise, ils abordent l'hypothèse de la scission avec sérénité et recul, sûrement beaucoup plus que ne le font nos politiciens belges francophones à l'heure actuelle...
Comme si le fait de n'avoir pas le nez à Bruxelles leur permettait d'évaluer la situation avec l'assurance naturelle de cette puissance politique qu'est la France, dotée de toute son expertise internationale concernant de telles crises de nationalités. Un siège au Conseil Permanent de l'ONU, c'est vrai que ça aide. Une voix incontournable au sein de l'Union Européenne aux côtés de l'Allemagne, cela fait le reste...

Donc, avec de telles cartes en main chez son voisin français, la Belgique francophone n'a pas lieu d'être trop inquiète, elle sera soutenue par la France le moment venu. Soutenue ne veut pas dire "absorbée" : les Belges francophones ne veulent pas d'annexion à la France, et la France n'a aucun intérêt politique à mettre fin à l'existence d'un pays francophone en l'annexant.

"Alors, que fera la France ?".
Cette question est évidemment essentielle. La position de la France compte et comptera le jour où la Flandre proclamera sa pleine souveraineté.

Quid de la Belgique alors ?

D'après mes amis du Quai d'Orsay, la France soutiendra le maintien d'une Belgique francophone indépendante, qui serait donc constituée de la Wallonie et de Bruxelles, les deux régions très majoritairement francophones du pays. Cette nouvelle Belgique, unilingue francophone, sera une alliée culturelle et linguistique non-négligeable pour la France au sein de l'Union Européenne, au sein du combat pour la diversité culturelle et au sein de la Francophonie. Elle ne sera plus parasitée par les incessantes querelles avec les Flamands, qui dominent actuellement l'Etat belge et n'ont cure de la solidarité francophone.

Naturellement, les Français ne s'intéressent pas à la forme constitutionnelle que prendra cette nouvelle Belgique et ils ne s'immisceront pas dans ces questions !
La probabilité est que nous conserverons notre monarchie constitutionnelle, facteur important d'identité nationale et institution à laquelle les Belges francophones sont très attachés, tout comme les Français le sont à leur République, et c'est tout naturel. Les Flamands, eux, opteront vraisemblablement pour une république, afin de couper les liens symboliques avec la Belgique.

Je comprends donc que mes amis français m'expliquent que l'indépendance de la Flandre, si elle survient, n'est pas du tout contraire aux intérêts de la France, puisqu'elle permettra l'émergence d'un nouvel Etat francophone belge, à la place de l'ancien Etat belge bilingue et majoritairement flamand d'ailleurs ...

Bruxelles, francophone à 90 pour cent, ne pourra pas être la capitale d'une Flandre indépendante, néerlandophone, en revanche elle restera la capitale de la "petite" Belgique Wallonie-Bruxelles.

Pour le MAE français, toute action qui viserait à diviser la Belgique francophone, à séparer Bruxelles et la Wallonie, serait contraire aux intérêts de la France. La France considérera l'ensemble formé par la Wallonie et Bruxelles (à condition qu'il conserve le nom de Belgique) comme le successeur naturel -en droit international- de l'actuel Etat belge.

Une "annexion" unilatérale de Bruxelles par la Flandre, par exemple par une déclaration solennelle du Parlement flamand, serait considérée par la France -et par l'Allemagne- comme une sorte de "coup d'Etat" contraire aux principes en vigueur au Conseil de l'Europe. On n'imagine pas une seconde la Flandre nouvellement indépendante tenir longtemps une telle position de vilain petit canard de la communauté internationale et en particulier européenne ...

Les Francophones belges doivent donc être conscients de cette force d'appui française et ne pas craindre les expansionnistes flamands menaçant Bruxelles. D'autant plus que cet avis est partagé par l'Allemagne et d'autres grandes puissances. La Flandre ne se mettra donc pas au ban des nations, elle a trop peur d'un tel scénario, et elle a trop d'intérêts économiques et politiques en jeu en Europe. N'est pas "apprenti-Serbie" qui veut ...

A méditer, donc...

Quant aux 6 communes à facilités, majoritairement francophones, situées en Flandre, je crois comprendre que les Français soutiendront l'intégrité territoriale de la Flandre (l'actuelle Région flamande, donc) en vertu de la succession des frontières internes. Il faudra donc que la nouvelle Belgique renonce à ces territoires, tout comme la Flandre devra renoncer à Bruxelles.

Si un blocage intervient entre la Flandre en sécession et la Belgique francophone au sujet du destin des 6 communes à facilités, et qu'un arbitrage international devient nécessaire, il est possible que la communauté internationale, dont la France, acceptera le principe d'un référendum de consultation des populations locales concernées (les 6 communes majoritairement francophones de la périphérie flamande de Bruxelles), qui n'ont jamais été consultées sur le sujet. Cela pourrait arriver si les droits linguistiques de cette minorité en Flandre ne sont pas reconnus, comme c'est le cas actuellement.

La France veillera au respect des minorités nationales dans les 2 nouvelles entités (Flandre et Belgique francophone) : droits des Francophones dans le Brabant flamand, et droits de la minorité flamande de Bruxelles. Probablement qu'elle soutiendra, avec la plupart des autres pays de l'UE, signataires de la Convention européenne sur les droits des minorités nationales, le principe de "réciprocité" en ce domaine.

Belges francophones, nous aurons donc une alliée de poids le moment venu....

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