dimanche 11 novembre 2007

Le domino institutionnel doublé de "l'effet boomerang" : du fédéral jusqu'à Bruxelles-Capitale

Le geste fort et inédit posé par les Flamands contre les Francophones -communauté contre communauté- en commission parlementaire le 7 novembre dernier, au niveau fédéral, implique désormais la même possibilité de remise en cause de l'équilibre institutionnel inter-communautaire au niveau bruxellois, selon le mécanisme du domino.
Il ne faut jamais oublier que la création et le "bétonnage" de mécanismes de protection de la minorité flamande au niveau bruxellois, en 1989, répondaient aux mêmes garanties de protection que celles de la minorité francophone au niveau fédéral.

Sur le plan fédéral, les francophones représentent 40 % de la population, les Flamands 60 %. Mais la parité francophones/néerlandophones est accordée pour les ministres fédéraux : autrement dit, il y a 50 % de ministres fédéraux francophones et 50 % de néerlandophones, sans compter toutes les autres garanties de "veto communautaire". Politiquement, les 2 communautés linguistiques sont donc considérées sur le plan fédéral comme 2 "co-majorités".

A Bruxelles, c'est le même mécanisme de parité politique (50% de ministres régionaux bruxellois sont francophones, 50% sont néerlandophones) et de garanties, mais ici ce sont les Flamands qui forment la minorité démographique : la population bruxelloise est constituée par environ 10% de Flamands (néerlandophones) et 90% de Francophones.

Par une simple comparaison, on observe que les Flamands sont donc nettement plus avantagés à Bruxelles que les Francophones le sont au niveau fédéral. Ils auraient donc beaucoup plus à perdre à Bruxelles que les Francophones au fédéral...

Remettre en cause le subtil équilibre de compromis communautaire au niveau fédéral, ce qu'ont fait les Flamands le 7 novembre, dans un contexte déjà tendu de quasi-crise de régime, c'est ouvrir la boîte de Pandore et ouvrir la voie à une remise en cause similaire des garanties de la minorité à Bruxelles, cette fois par les Francophones.

Il est probable que les Francophones n'hésiteront pas, eux aussi, le moment venu, à faire valoir et prévaloir à Bruxelles-Capitale leur statut de majorité démographique, selon la même logique que celle utilisée par les Flamands au fédéral.

Cela reviendra à la face des politiciens flamands comme un effet boomerang.

Or il n'y a plus désormais de tabous institutionnels en Belgique, depuis qu'ils ont été pulvérisés par le passage en force flamand. Désormais Bruxelles-Capitale et la Wallonie peuvent vouloir s'organiser en commun, sous la forme d'une fédération de deux régions autonomes, sans la Flandre. C'est probablement ce qui émergera de la Commission intra-francophone sur l'avenir de la Wallonie et de Bruxelles.
L'éventuelle opposition de la minorité flamande de Bruxelles à cette perspective n'empêchera pas la décision démocratique de le faire (par un vote parlementaire majoritaire ou un référendum), de la même façon qu'au fédéral les oppositions des Francophones n'empêchent plus la volonté des Flamands de devenir indépendants un jour ou l'autre.

En cas de séparation, le principe de réciprocité implique et exige, sur le plan démocratique, que ce qui est valable pour la Flandre au niveau de la Belgique (respect de la volonté de la majorité flamande) le soit aussi pour les Belges francophones au niveau de Bruxelles-Capitale.

C'est ce qui est en train de se jouer actuellement au grand théâtre de la perte des dernières illusions dans "l'union sacrée flamando-francophone".
On aimerait d'ailleurs un peu plus de clarté et d'honnêteté des politiciens francophones à l'égard de la population en ce qui concerne l'importance de ce qui se profile à l'horizon. Bref, un vrai projet, une préparation, la fin de la politique de l'autruche, et non pas des incantations à l'égard des Flamands pour tenter de les empêcher de réaliser leurs objectifs nationaux, ce qui produit l'effet inverse à celui recherché...
Exemple : quand Didier REYNDERS demande des garanties de la part des Flamands pour, en gros, ne plus rompre le pacte belge (méthode coué ?), les Flamands, par l'intermédiaire du cartel CD&V et NV-A, répondent qu'ils exigent des garanties des Francophones sur la réforme institutionnelle. Ambiance.
Dialogue de sourds...

Fort heureusement, la culture démocratique des deux peuples concernés (Flamands et francophones) ainsi que le cadre de l'Union européenne, permettent une séparation à l'amiable (à la tchéco-slovaque) et dans le respect des minorités nationales.

Mais certains signes sont néanmoins inquiétants dans les discours actuels de radicaux de tous poils, ceux qui prônent carrément la diabolisation de l'autre communauté, dans les médias, sur l'arène politique et dans divers forums internet. Comme pour un couple dans la vie, il y a deux façons de se séparer quand il est devenu impossible de vivre ensemble : de façon pacifique ou de façon violente. J'espère que la première prévaudra et que personne ne sombrera dans la surrenchère nationaliste.

Au sujet de l'importance stratégique de Bruxelles dans la crise actuelle, voir aussi l'excellent article du politologue, historien et professeur d'institutions européennes Jean-Paul NASSAUX, dans le quotidien français Libération du 9 novembre : "Bruxelles, un enjeu pour la francophonie" :
http://www.liberation.fr/rebonds/290196.FR.php

vendredi 9 novembre 2007

Un Lion (flamand) et un Coq (francophone) sont dans un couloir...

... facile de deviner qui va manger l'autre.

On connaît la rengaine : en cas de scission de l'arrondissement bilingue BHV (Bruxelles-Hal-Vilvorde) par les Flamands, les chefs de partis francophones réclament, en bombant le torse, l'élargissement de Bruxelles aux 6 communes de la périphérie, situées en Flandre mais très majoritairement francophones. Pour les Francophones, l'enjeu est surtout, dans ce cas, d'assurer un lien territorial entre la Wallonie et Bruxelles, séparées par seulement 5 km : le "couloir" de la commune de Rhode-Saint-Genèse, francophone à 65%. Il sera néanmoins difficile pour les Francophones d'obtenir ce couloir advenant la scission de BHV. Or BHV sera de toute façon scindé par la seule volonté des Flamands majoritaires dans la fédération, la scission historique ayant été votée en commission ce mercredi 7 novembre. Certes, les procédures de "conflit d'intérêt" et de "sonnette d'alarme" permettent au bloc francophone au Parlement fédéral de retarder un temps la réforme flamande, mais pas d'empêcher la volonté majoritaire, au risque d'un blocage total.

Pour les Francophones, réclamer l'élargissement de Bruxelles en cas de scission, cela revient au même que réclamer le "couloir" de Rhode, mais c'est beaucoup plus "politiquement correct". De même qu'il est bien plus "présentable" pour les Flamands d'exiger la scission de BHV que de simplement dire qu'ils veulent en fait établir une future frontière d'Etat "propre et nette".

La différence entre les deux exigences opposées des Flamands et des Francophones c'est que la réaction des seconds est purement "défensive" et surtout les Francophones n'ont pas les moyens d'imposer la leur puisqu'ils sont logiquement minoritaires au Parlement. Or l'élargissement de Bruxelles "en contrepartie de la scission flamande de BHV" ne peut pas s'obtenir par un vote minoritaire, c'est assez évident...

Le seul "espoir" possible pour les Francophones serait un arbitrage européen ou international, mais pour cela il faudrait une volonté déclarée de la Flandre de faire sécession. Or les politiciens flamands sont suffisamment intelligents pour avoir compris que c'est dans leur intérêt d'avancer masqués, avec leur histoire de "confédération" pour sauver les formes. Ils feront peser sur les francophones le poids de l'inévitable séparation à venir... Echec et mat ?

Ce qu'ils oublient, c'est qu'ils ont beau supprimer l'arrondissement BHV, les 120 000 Francophones de la périphérie, eux, ne pourront pas être "supprimés", autrement dit ils continueront d'habiter en "Flandre" et donc constituer une grosse épine "impure" dans le pied de cette Flandre de plus en plus grossièrement nationaliste étriquée et ethniquement puriste. En d'autres mots, indépendance ou pas, amis flamands, la périphérie de Bruxelles continuera à se franciser, car on ne peut pas couper artificiellement une périphérie de sa ville-centre. Or, avec une ville-centre de 1 million d'habitants à 90% francophones, il est difficile d'imaginer comment la périphérie immédiate et son demi-million d'habitants (dont 120 000 francophones) pourraient être unilingues flamands.

C'est là tout le malentendu entre Flamands et Francophones. Les Flamands sont certainement sincères lorsqu'ils sont persuadés que les francophones de la périphérie ne veulent pas s'intégrer en "Flandre". Mais ce qu'ils n'arrivent pas à comprendre c'est que pour ces francophones il ne peut pas s'agir de "s'intégrer" à la Flandre puisqu'ils habitent dans une zone urbaine très majoritairement francophone, vivent en français, travaillent en français à Bruxelles, ont surtout des voisins francophones dans leurs quartiers des 6 communes à facilités, et de fait n'ont pratiquement jamais besoin d'utiliser le néerlandais.
S'ils étaient minoritaires dans les 6 communes en question et si le flamand était la langue de travail majoritaire à Bruxelles, ils seraient bien obligés d'apprendre la langue, mais ce n'est pas le cas. On ne peut pas refaire la réalité pour plaire à un fantasme flamand d'homogénéité linguistique. Les Flamands nient tout simplement la réalité : que Bruxelles est à 90% francophone.
Par contre, quand un francophone va s'installer à Gand, à Louvain, ou à Anvers, il est bien obligé de "s'intégrer" en néerlandais car c'est effectivement la seule langue courante dans ces régions : il n'y a pas de choix possible, donc aucun problème dans ce cas.

Le problème pour les Flamands est leur impossible deuil de Bruxelles. C'est un peu comme si les Français voulaient reconquérir linguistiquement la Nouvelle-Orléans en niant son caractère aujourd'hui anglophone, sous prétexte que ce fut jadis une ville "HISTORIQUEMENT" francophone. L'argument du "Bruxelles historiquement flamand" utilisé par les Flamands pour justifier une éventuelle annexion est simplement dangereux sur le plan démocratique car il constitue une négation des réalités du présent. CONCLUSION : dans notre beau pays Belgique, on est pour l'instant assez mal barrés pour un futur serein...

Version légèrement modifiée de mon post d'aujourd'hui sur le blog de Jean Quatremer "Coulisses de Bruxelles" : bruxelles.blog.liberation.fr