vendredi 9 novembre 2007

Un Lion (flamand) et un Coq (francophone) sont dans un couloir...

... facile de deviner qui va manger l'autre.

On connaît la rengaine : en cas de scission de l'arrondissement bilingue BHV (Bruxelles-Hal-Vilvorde) par les Flamands, les chefs de partis francophones réclament, en bombant le torse, l'élargissement de Bruxelles aux 6 communes de la périphérie, situées en Flandre mais très majoritairement francophones. Pour les Francophones, l'enjeu est surtout, dans ce cas, d'assurer un lien territorial entre la Wallonie et Bruxelles, séparées par seulement 5 km : le "couloir" de la commune de Rhode-Saint-Genèse, francophone à 65%. Il sera néanmoins difficile pour les Francophones d'obtenir ce couloir advenant la scission de BHV. Or BHV sera de toute façon scindé par la seule volonté des Flamands majoritaires dans la fédération, la scission historique ayant été votée en commission ce mercredi 7 novembre. Certes, les procédures de "conflit d'intérêt" et de "sonnette d'alarme" permettent au bloc francophone au Parlement fédéral de retarder un temps la réforme flamande, mais pas d'empêcher la volonté majoritaire, au risque d'un blocage total.

Pour les Francophones, réclamer l'élargissement de Bruxelles en cas de scission, cela revient au même que réclamer le "couloir" de Rhode, mais c'est beaucoup plus "politiquement correct". De même qu'il est bien plus "présentable" pour les Flamands d'exiger la scission de BHV que de simplement dire qu'ils veulent en fait établir une future frontière d'Etat "propre et nette".

La différence entre les deux exigences opposées des Flamands et des Francophones c'est que la réaction des seconds est purement "défensive" et surtout les Francophones n'ont pas les moyens d'imposer la leur puisqu'ils sont logiquement minoritaires au Parlement. Or l'élargissement de Bruxelles "en contrepartie de la scission flamande de BHV" ne peut pas s'obtenir par un vote minoritaire, c'est assez évident...

Le seul "espoir" possible pour les Francophones serait un arbitrage européen ou international, mais pour cela il faudrait une volonté déclarée de la Flandre de faire sécession. Or les politiciens flamands sont suffisamment intelligents pour avoir compris que c'est dans leur intérêt d'avancer masqués, avec leur histoire de "confédération" pour sauver les formes. Ils feront peser sur les francophones le poids de l'inévitable séparation à venir... Echec et mat ?

Ce qu'ils oublient, c'est qu'ils ont beau supprimer l'arrondissement BHV, les 120 000 Francophones de la périphérie, eux, ne pourront pas être "supprimés", autrement dit ils continueront d'habiter en "Flandre" et donc constituer une grosse épine "impure" dans le pied de cette Flandre de plus en plus grossièrement nationaliste étriquée et ethniquement puriste. En d'autres mots, indépendance ou pas, amis flamands, la périphérie de Bruxelles continuera à se franciser, car on ne peut pas couper artificiellement une périphérie de sa ville-centre. Or, avec une ville-centre de 1 million d'habitants à 90% francophones, il est difficile d'imaginer comment la périphérie immédiate et son demi-million d'habitants (dont 120 000 francophones) pourraient être unilingues flamands.

C'est là tout le malentendu entre Flamands et Francophones. Les Flamands sont certainement sincères lorsqu'ils sont persuadés que les francophones de la périphérie ne veulent pas s'intégrer en "Flandre". Mais ce qu'ils n'arrivent pas à comprendre c'est que pour ces francophones il ne peut pas s'agir de "s'intégrer" à la Flandre puisqu'ils habitent dans une zone urbaine très majoritairement francophone, vivent en français, travaillent en français à Bruxelles, ont surtout des voisins francophones dans leurs quartiers des 6 communes à facilités, et de fait n'ont pratiquement jamais besoin d'utiliser le néerlandais.
S'ils étaient minoritaires dans les 6 communes en question et si le flamand était la langue de travail majoritaire à Bruxelles, ils seraient bien obligés d'apprendre la langue, mais ce n'est pas le cas. On ne peut pas refaire la réalité pour plaire à un fantasme flamand d'homogénéité linguistique. Les Flamands nient tout simplement la réalité : que Bruxelles est à 90% francophone.
Par contre, quand un francophone va s'installer à Gand, à Louvain, ou à Anvers, il est bien obligé de "s'intégrer" en néerlandais car c'est effectivement la seule langue courante dans ces régions : il n'y a pas de choix possible, donc aucun problème dans ce cas.

Le problème pour les Flamands est leur impossible deuil de Bruxelles. C'est un peu comme si les Français voulaient reconquérir linguistiquement la Nouvelle-Orléans en niant son caractère aujourd'hui anglophone, sous prétexte que ce fut jadis une ville "HISTORIQUEMENT" francophone. L'argument du "Bruxelles historiquement flamand" utilisé par les Flamands pour justifier une éventuelle annexion est simplement dangereux sur le plan démocratique car il constitue une négation des réalités du présent. CONCLUSION : dans notre beau pays Belgique, on est pour l'instant assez mal barrés pour un futur serein...

Version légèrement modifiée de mon post d'aujourd'hui sur le blog de Jean Quatremer "Coulisses de Bruxelles" : bruxelles.blog.liberation.fr


2 commentaires:

Αγγελος a dit…

Expliquez-moi, s'il vous plait, un aspect juridique de la chose. N'est-il pas vrai que pour modifier les limites des Régions et des Provinces il faut une majorité renforcée dans les deux groupes linguistiques? (Sinon, les Flamands, usant de leur majorité numérique, pourraient tout simplement voter, disons, le retour de Mouscron à la Flandre-Occidentale!) Alors, comment peuvent-ils décider tout seuls de la scission de BHV? Les limites des arrondissements électoraux peuvent-ils être modifiés par une loi ordinaire votée à la majorité simple?

Belgiko a dit…

Pour vous répondre, c'est là toute l'épaisseur du cas atypique de l'arrondissement BHV.
La scission de BHV n'entraîne aucune modification des limites provinciales et régionales : il n'y a aucun transfert de territoire, ni de modification de statut linguistique. A priori, juridiquement les "facilités" continuent à subsister dans les 6 communes concernées.
Une motion de "conflit d'intérêt", votée par une assemblée d'une entité belge, en l'occurence par la Communauté française ou plutôt francophone de Belgique, à la suite du vote "communauté contre communauté" inédit effectué mercredi en commission parlementaire par l'ensemble des Flamands présents (moins une abstention), permet de geler l'examen de la proposition de loi pendant 60 jours. Après cela, la proposition reviendra en chambre si aucune solution n'est trouvée (ce qui est plus que probable). Les francophones pourront alors sortir une dernière carte, la procédure de "sonnette d'alarme" qui interrompt l'adoption de la loi. Ce "blocage" parlementaire francophone sera effectivement un droit de veto d'une communauté linguistique contre une autre, c'est l'effet boomerang de l'attitude flamande du "passage en force", ce dernier étant contraire au traditionnel compromis à la belge. Politiquement, si on en arrive là, la situation communautaire sur BHV apparaîtra comme complètement bloquée. Ce sera alors beaucoup plus qu'une crise de régime : aucun compromis sur BHV ne pouvant plus alors être trouvé dans le cadre fédératif, il est probable que des élections anticipées auront lieu pour tenter de résoudre la crise, et il ne faut pas être grand clerc pour anticiper la radicalisation qui animera alors les 2 opinions publiques sur le plan communautaire. Aucun camp ne cédera. Il ne pourra pas y avoir une nouvelle crise politique avec re-explorateur, re-formateur, etc, surtout s'il est devenu impossible de s'entendre sur la formation d'un gouvernement. Après toutes les solutions "soft" explorées dans un cadre de crise, il ne restera malheureusement plus aux 2 communautés que la séparation, négociée et non-violente il faut l'espérer.