vendredi 24 août 2007

La Belgique francophone (Wallonie-Bruxelles) face à l'indépendantisme flamand : une nouvelle attitude

Posons le décor. Observateur et acteur de la vie politique belge, exerçant au sein d'une haute administration nationale, et consultant à mes heures pour certaines institutions extérieures, je publie ce blog sous un pseudo commode, "Belgiko". Je constate que mon évolution à l'égard du débat national belge correspond à celle de nombre de mes concitoyens francophones. Cette opinion de plus en plus répandue chez les francophones sur le fait que l'indépendance de la Flandre n'est plus taboue et qu'il est temps, pour nous francophones, de présenter à notre tour des demandes précises à nos partenaires flamands (périphérie bruxelloise, surreprésentation flamande à Bruxelles, etc), je la partage, mais je ne peux -hélas- l'exprimer ouvertement dans le cadre de mes fonctions actuelles, on comprend aisément pourquoi (neutralité oblige).

La perspective de l'indépendance de la Flandre a cessé d'effrayer les Belges francophones, qui désormais désirent y faire face, mais pas passivement et sur la défensive comme autrefois, quand ils faisaient d'éternelles concessions institutionnelles à des Flamands insatiables, tout ça pour "sauver l'union à tout prix".

Dorénavant, leurs représentants élus, issus des 4 principaux partis politiques francophones belges, affichent un "front commun" sur le plan institutionnel avec la ferme intention de ne plus désorganiser l'espace francophone belge (et l'Etat belge) au seul bénéfice des exigences flamandes.

Cette nouvelle attitude n'est pas venue naturellement, elle est le résultat d'une lente prise de conscience par rapport aux capitulations institutionnelles successives et suite à l'exaspération d'une large partie de l'opinion belge francophone de ce fait. Donc, les élus francophones clament que, si les Flamands proposent la scission de l'arrondissement bilingue "Bruxelles-Hal-Vilvorde" (appelé ici "BHV"), on leur opposera la demande d'un référendum local, dans les 6 communes à majorité francophone de la périphérie flamande de Bruxelles, pour le rattachement de ces communes à la capitale. On y reviendra.

Il conviendra de voir "à l'usage" si, dans les négociations actuelles, les francophones "tiendront bon" (pour la première fois...) ou bien si, comme d'habitude, ils finiront par plier et céder aux revendications flamandes portées par les nationalistes et autonomistes flamands sortis majoritaires des élections de juin 2007. L'opinion publique francophone ne le tolérerait pas et ce serait au détriment de la Belgique.

Ayant participé, en raison de mes compétences en Droit (international et droit interne belge), aux coulisses des récentes "négociations" (peut-on parler de négociations quand un seul partenaire veut imposer ses exigences à l'autre ?) entre Flamands et Francophones, qui se sont tenues ces deux dernières semaines, je doute de la réelle volonté du côté francophone (je parle des partis politiques, pas de l'opinion publique) de s'opposer aux exorbitantes exigences flamandes sans cesse augmentées.

J'ai eu l'impression que chaque fois que l'équipe de Leterme avançait l'argument massue selon lequel "risque de fin de la Belgique si vous (Francophones) ne cédez pas", les Francophones reculaient... Ils n'ont pas encore compris qu'il n'y a pas d'appeasement possible envers les revendications flamandes et que l'ultime objectif est l'indépendance de la Flandre. Alors à quoi bon faire de nouvelles concessions maintenant, qui ne feront qu'affaiblir la position francophone lors de la négociation future sur un "partage".

Seule Joëlle Milquet (CdH) m'a semblé avoir la ferme intention de ne rien céder, non pas par pure obstination, mais parce que son parti semble décidé à ne pas reculer : ses parlementaires lui ont donc forcer la main. Maingain (FDF), quant à lui, est pris entre ses convictions et son arrimage au MR : dilemme, quand tu nous tiens... Didier Reynders (MR), en revanche, m'a déçu : il ne semble intéressé que par sa réforme fiscale au détriment des intérêts du front commun francophone. Quant au PS d'Elio Di Rupo, il partage sur le fond la stratégie du front commun avec les autres partis francophones, et la volonté d'organiser (enfin !) la "nation francophone" belge (ce que les Flamands, eux, ont fait depuis longtemps en ce qui les concerne...), mais le problème c'est que le PS est absent de la scène fédérale actuelle et donc il ne veut pas apparaître comme un "renfort" du MR de Reynders... Quand est-ce que certains cesseront-il de privilégier la "petite politique politicienne" par rapport aux grands enjeux de la Belgique francophone d'aujourd'hui ?


Que se passerait-il si la Flandre prenait son indépendance ? Les francophones ont toujours eu tendance à refuser d'envisager ce scénario. Pourtant les choses ont changé (dans l'opinion publique en tout cas...) et l'impossible d'hier apparaît pourtant aujourd'hui plausible et probable. Que feront les francophones belges si cela se produit ? Attendrons-nous de voir ce qui se passe, d'attendre que ça passe et en faisant les autruches ? Ou préparerons-nous aussi enfin notre propre projet institutionnel d'Etat francophone dans le réalisme ?

Une piste émerge des nombreux forums sur le sujet, et au sein de la classe politique belge francophone : si la Flandre se sépare de la Belgique, cela ne signifie pas la fin de la Belgique, mais seulement son évolution vers une union à 2 régions (Wallonie et Bruxelles) au lieu de 3 actuellement.

Pour ceux qui voudraient se familiariser avec le problème belge, ou faire un dépoussiérage de leurs connaissances : voici tout d'abord quelques chiffres.

D'un côté, la Flandre compte 6 millions d'habitants (à 95 % néerlandophones), avec une petite minorité francophone résidant essentiellement en Brabant flamand ; de l'autre côté, la Belgique "sans la Flandre", c'est-à-dire la Wallonie et Bruxelles, représente 4,5 millions d'habitants (à 95 % francophones), avec une petite minorité néerlandophone à Bruxelles (minoritaire, même localement) et une petite minorité germanophone -dans l'extrême est de la Wallonie (minorité localement majoritaire).

Bien sûr le système institutionnel de l'Etat belge actuel, qui inclut la Flandre, est plus complexe (3 communautés et 3 régions + 1 état fédéral), mais il s'agit ici de donner une idée démographiques des deux principales nations "linguistiques" qui forment aujourd'hui cet Etat commun, comparable sur plusieures points à l'union qui existait jadis entre Tchèques et Slovaques (aujourd'hui 2 Etats distincts et membres de l'Union européenne).

Ces deux blocs linguistiques (Flandre d'une part, et Wallonie-Bruxelles d'autre part) ont une population équivalente à celle d'autres démocraties européennes de taille comparable : Suisse, Irlande, Norvège, Danemark, Slovénie, etc. Ces derniers exemples, pour ceux qui en douteraient encore, montrent que des petits pays européens prospères et démocratiques sont parfaitement viables. Je précise bien : démocratiques.

Nul doute que la Flandre et la Belgique "Wallonie-Bruxelles" sont toutes deux dans ce cas. Ce que la Tchéco-Slovaquie a réussi à faire -un divorce de velours- avec pourtant une tradition démocratique plus récente, il est certain que l'Etat belge actuel y parviendrait aussi. Tous les problèmes techniques liés à une telle situation seront négociés : partage de la dette, des actifs, question des ambassades, de Bruxelles (on reviendra sur le cas de Bruxelles), etc. Sans ressentiment de part et d'autre, mais dans le souci constructif de bâtir de nouvelles relations saines d'Etat à Etat, alors que les 2 communautés ne se supportent plus dans l'Etat commun actuel.

Aucun commentaire: