jeudi 30 août 2007

Vers une crise de régime en Belgique ?

J'affirme ici que l'union politique entre Flamands et Belges francophones aura cessé d'exister, soit dès cette année, soit d'ici quelques années au plus tard, mais ce ne sera pas la fin de la Belgique (il restera la Wallonie et Bruxelles, leur Etat commun continuera de s'appeler "Belgique"). Pourquoi ces changements politiques à venir et sur quels éléments se base mon affirmation ?

Notre pays, la Belgique, ne traverse pas sa première crise de gouvernement, mais il est probable qu'il s'achemine progressivement vers une crise de régime majeure bien plus grave que celle de la "question royale" de l'après-guerre.
La raison ? L'incompatibilité fondamentale entre les exigences institutionnelles flamandes d'aujourd'hui -conditions minimales pour les Flamands- et la volonté de relatif statu quo côté francophone. On pourrait m'objecter qu'en Belgique, des solutions bancales ont toujours été "bricolées", d'ailleurs toujours au détriment des francophones, pour sortir des crises de gouvernement. Certes, mais à l'époque les francophones cédaient systématiquement car ils étaient demandeurs de financement, de péréquation, bref de gros sous, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Quelles furent ces principales capitulations institutionnelles du côté francophone ?
Un bref rappel s'impose.

En 1969, les Flamands exigent des francophones de quitter l'université de Louvain, située en sol flamand : après moult tergiversations et une bonne crise politique (et des menaces physiques à l'encontre du personnel francophone de Louvain) la Belgique francophone cède, car elle veut protéger l'unité du pays, intention louable à court terme mais lourde de conséquences à long terme... (imposition du droit du sol contre le droit des gens, etc).

En 1989 il s'agit de négocier sur le statut de Bruxelles : région à part entière ou pas ? Les francophones y tiennent, Bruxelles étant francophone à 90 %, mais les Flamands s'y opposent catégoriquement (question hautement symbolique) car pour eux Bruxelles, enclavée en Flandre, demeure historiquement flamande. Résultat : quelques années plus tard les francophones "cèdent" et acceptent un compromis complètement disproportionné (or, le principe d'un compromis est normalement d'être équilibré), de sorte que Bruxelles sera bien une région, mais le prix à payer pour les francophones est une surreprésentation flamande dans les institutions régionales bruxelloises, la quasi-parité linguistique garantie dans l'exécutif (50% de Flamands alors qu'ils ne sont que 10% de la population) autant d'éléments qui constituent une grave entorse au principe démocratique. De plus, Bruxelles se voit imposer un bilinguisme systématique et non pas pragmatique, ne correspondant pas à la réalité socio-linguistique bruxelloise.
Bruxelles était désormais gérée comme un condominium absolu au détriment des intérêts de la majorité des Bruxellois. C'est une "victoire" à la Pyrrhus pour les francophones, que beaucoup regrettent aujourd'hui... On y reviendra. Mais ce "compromis bruxellois" ne vaut que dans le cas d'une Flandre membre de la Belgique : si la Flandre devient indépendante, Bruxelles la francophone ne suivra pas, et les "compromis institutionnels" bruxellois seront inévitablement remis en cause au profit de la majorité francophone.

Autre absurdité : dans les années 80, tandis que les Flamands choisissent d'établir leur Parlement régional à Bruxelles, ville très majoritairement francophone et située en dehors de la région flamande -il est essentiel de le rappeler-, les Wallons décident contre toute logique d'établir leur "capitale" à Namur, en province. Pourtant Bruxelles est bien la capitale culturelle et économique de la francophone Wallonie. Cette décision a eu pour conséquence un éloignement artificiel entre la Wallonie et Bruxelles, et je ne suis pas sûr que tous nos éditorialistes de la presse écrite francophone en mesurent aujourd'hui la pleine portée. Autant dire franchement ici que la Wallonie, sans Bruxelles, n'a évidemment aucun avenir. Mais ceci vaut aussi, bien sûr, pour les Bruxellois.

Maintenant les francophones ont pris conscience de ces "péchés originels" dans l'attitude qu'ils avaient à l'époque de la mise en place du fédéralisme belge. Ils tentent, tardivement, de recoller les morceaux. Ainsi, tous entrevoient désormais comme inévitable un rapprochement Wallonie-Bruxelles et surtout le renforcement des institutions communes : il était temps ! Ceux qui prônent l'affaiblissement des institutions de la Communauté francophone (officiellement "Communauté française de Belgique", quelle stupidité !) sont soit des inconscients, soit des diviseurs de francophones, heureusement minoritaires.

En effet, la démultiplication des instances francophones a eu largement pour effet de diluer l'autorité étatique au sein de la communauté francophone, en l'atomisant entre plusieurs structures, et de gaspiller des fonds publics : citons l'exemple du maintien de la COCOF bruxelloise, des institutions wallonnes "séparées", etc.
Voulons-nous conserver ce dédoublement permanent entre institutions wallonnes et institutions bruxelloises francophones, ou bien, comme les Flamands, avoir une seule institution efficace ? La question doit être débattue. C'est là le véritable enjeu. Lorsque les négociations sur l'indépendance de la Flandre arriveront, tôt ou tard -car il faudra bien s'y résoudre, si les Flamands la veulent ils l'auront, ils sont 60 %- les francophones se présenteront-ils divisés (et affaiblis) en deux délégations (wallonne et bruxelloise) ou bien unis en une seule ? La rationalité commande l'unité.

Rappelons ce fait précis : sur le plan linguistique la Belgique actuelle est composée de deux principales communautés (la Flamande et la francophone), ce sont donc les communautés qui devront négocier. Les régions belges ne sont pas des entités communautaires mais administratives. Avez-vous déjà entendu parler d'une "communauté (linguistique) bruxelloise" ? Non, car cela n'existe pas. Y'a-t-il une "communauté wallonne" ? Non plus, car les wallons constituent simplement 75 % des francophones de Belgique et les Bruxellois forment les 25% qui restent.

En d'autres termes, la négociation ne se fera pas entre les 3 régions, mais bien entre les 2 communautés linguistiques, c'est d'ailleurs le cas dans les négociations gouvernementales, et nos partis politiques fédéraux sont formés sur des bases linguistiques et communautaires (dans le cas belge, celà revient au même). C'est pourquoi la récente proposition de Joëlle Milquet d'associer les régions à la négociation gouvernementale actuelle (qui ne porte pas encore sur l'indépendance flamande, mais sur les exigences quasi-confédérales de la Flandre), si elle semble astucieuse, est en réalité dangereuse à terme car elle pourrait constituer un précédent et affaiblir le front commun francophone. Ce serait même dans l'intérêt des Flamands, car leur objectif est de diviser les francophones en "régions" (wallonne et bruxelloise) pour obtenir plus de gains. Les Flamands, eux, n'ont pas ce problème : les Bruxellois flamands sont une quantité négligeable dans l'ensemble flamand (seulement 2% des Flamands habitent à Bruxelles), et leurs institutions (Région et communauté) sont déjà fusionnées.

C'est donc de la capacité des francophones de se présenter unis (Wallons et Bruxellois) et de simplifier voire fusionner leurs institutions -et réexaminer la question de Bruxelles si les Flamands veulent scinder BHV*- que dépendra leur succès dans les négociations et l'obtention de compromis équilibrés. Sinon c'est l'échec assuré, et de nouvelles compromissions en vue pour les Belges francophones, compromissions qui cette fois-ci ne seront pas "récupérables".

Quoi qu'il en soit, l'attitude des représentants francophones d'accepter une nouvelle compromission dans le seul espoir de réaliser "l'appeasement" de la Flandre serait tout simplement contre-productive. La Flandre ne sera jamais "apaisée" dans ses exigences institutionnelles tant que l'indépendance plus ou moins totale ne sera pas acquise, même si cela doit prendre encore 20 ans. Pour les Flamands, le but du jeu, si je puis dire, est d'obtenir le maximum de consessions avant l'obtention de l'indépendance ou du confédéralisme, en misant sur la "peur" des francophones face à cette indépendance flamande.
Il serait temps que nos représentants francophones (Joëlle Milquet du CdH, Didier Reynders du MR, Elio DiRupo du PS et les Ecolos) en prennent pleinement conscience.

*NB : Pour nos amis non-Belges, "BHV" n'est pas ici l'enseigne d'un célèbre magasin parisien (et néanmoins sympathique) mais les initiales de "Bruxelles-Hal-Vilvorde", qui est un arrondissement électoral bilingue, source de tension politique majeure en Belgique, et que les Flamands veulent remettre en question, ce à quoi les francophones s'opposent...

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